Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, du 21 octobre 2009 (pourvoi 07-43.877)
Cour de cassation, chambre sociale
21 octobre 2009, pourvoi 07-43.877
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., qui était employé par la société Seit Hydr'Eau depuis le 19 janvier 1981 en qualité de chef d'établissement et en dernier lieu de responsable commercial marketing, a été licencié pour faute lourde le 16 mars 2004 pour avoir préparé le démantèlement de son entreprise en participant à la mise en place d'une structure directement concurrente en se rapprochant de la société Marteau ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail ;
Attendu que pour décider que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes à ce titre, l'arrêt énonce que, selon le constat, l'huissier, qui a ouvert l'ordinateur en l'absence du salarié, a accédé après ouverture de l'explorateur à un répertoire nommé JM lequel comportait un sous répertoire nommé personnel et un sous répertoire nommé Marteau, et reproduit ensuite les documents trouvés dans le sous répertoire intitulé Marteau ; qu'il retient qu'il est évident que JM signifie Jean Michel, prénom de M. X..., qu'il est invraisemblable que le disque dur n'ait pas contenu de répertoires professionnels identifiés comme tels et que dès lors, le répertoire JM devant être considéré comme personnel, l'huissier n'aurait pas dû l'ouvrir ;
Attendu cependant que les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé ;
Qu'en statuant comme elle a fait, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le répertoire n'était pas identifié comme personnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la société Seit Hydr'Eau.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a décidé que le licenciement de M. Jean-Michel X... était sans cause réelle et sérieuse et a, en conséquence, condamné la Société SEIT HYDR'EAU au paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de rupture ;
AUX MOTIFS QUE « l'activité de la société est la réalisation, « clés en mains », de stations de pompage et de traitement de l'eau ; qu'elle a engagé M. X... le 19 janvier 1981 ; qu'il était « chef d'entreprise », appellation quelque peu trompeuse signifiant qu'il était responsable d'un « centre de profit » ; que selon un avenant du 19 novembre 2003, il est devenu « responsable commercial marketing » ; que rien ne prouve que M. A..., le nouveau PDG, lui ait annoncé son futur licenciement ; que les attestations de MM. B... et C..., qui ont intenté un procès prud'homal à la société, ne peuvent être retenues comme objectives ; qu'en revanche, M. D... atteste que M. A... lui a indiqué « d'autre personnes suivraient sans doute le chemin du départ », en lui citant M. X... et M. Louis X... (un homonyme), précise que M. A... harcelait les cadres pour diminuer les coûts salariaux ; que M. X... a été licencié pour faute lourde le 16 mars 2004, dans les termes suivants : « Lors de notre entretien précité, je vous ai demandé si vous étiez actuellement en train d'étudier avec un de nos concurrents, MARTEAU, l'opportunité, pour celui ci, de créer une agence à ORLEANS. Je vous ai précisé qu'il avait été porté à ma connaissance :- un budget de frais généraux,- une annonce préparée pour recruter l'ensemble de l'encadrement nécessaire à cette implantation,- une note de présentation d'un projet de création d'une agence MARTEAU à ORLEANS,- un tableau de salaire de l'encadrement de cette agence, et que l'ensemble de ces éléments est très préoccupant puisqu'il prouve que vous aviez préparé le démantèlement de votre entreprise en participant à la mise en place d'une structure directement concurrente à SEIT HYDR'EAU. Vous avez alors rétorqué ne pas être salarié de MARTEAU et avez nié les faits en bloc. Je vous ai ensuite demandé si vous étiez en train de préparer la débauche de vos anciens collaborateurs et vous ai précisé que les différents éléments cités ci dessus contenaient une liste de noms que je vous ai communiqués. Vous avez à nouveau nié les faits. Je vous ai alors alerté sur le fait que ces différents griefs étaient très graves puisqu'il s'avère que vous êtes actuellement en situation de nuire très gravement aux intérêts de votre employeur pour le compte d'un de ses concurrents directs, en l'occurrence la Société MARTEAU, pour l'agence qu'elle prévoit de créer à ORLEANS. Je vous ai également informé qu'étant donné le degré d'avancement de votre étude pour le compte de ce concurrent et vos dénégations réitérées, il m'apparaissait plus sage, dans l'attente d'une décision sur les suites à donner à la procédure, d'envisager la mise à pied à titre conservatoire, qui vous a été notifiée distinctement. Nous vous confirmons, par la présente, que l'ensemble de ces faits est très grave et pourrait même être lourd de coefficient d'occupation des sols pour la pérennité de la Société SEIT HYDR'EAU, puisque la conséquence de vos agissements l'aurait vidée de sa substance commerciale et opérationnelle. Nous vous informons donc que nous avons décidé de vous licencier pour faute lourde puisque caractérisant votre intention de nuire aux intérêts de l'entreprise » ; que la pièce essentielle de la société est un constat de Maître E..., huissier, du 27 février 2004, qui est l'analyse des données de l'ordinateur portable de M. X... ; que sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus dans le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de celui ci, ou celui-ci dûment appelé ; qu'en outre, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence ; que selon le constat, l'huissier, qui a procédé en l'absence de M. X..., a accédé, après l'ouverture de l'ordinateur : 1) au poste de travail, 2) au disque local C, 3) au répertoire nommé JM, 4) au sous-répertoire nommé personnel, 5) au sous répertoire dénommé MARTEAU ; qu'il reproduit ensuite les documents trouvés dans le « sous-répertoire nommé MARTEAU » ; qu'il est évident que JM signifie Jean-Michel, le prénom de M. X... ; qu'il est invraisemblable que le disque dur n'ait pas contenu de répertoires professionnels identifiés comme tels ; que dès lors, le répertoire JM devait être considéré comme personnel, et l'huissier n'aurait pas dû l'ouvrir ; qu'il reste à apprécier s'il existait un risque ou un événement particulier justifiant l'aspect non contradictoire du constat ; que les témoignages qui expliquent comment M. A... a été amené à soupçonner M. X... sont à cet égard sans intérêt ; que M. X... ignorant ces soupçons, il n'y avait pas de risque qu'il fasse disparaître de son ordinateur les éléments supposés compromettants ; qu'il suffisait que Me E... se présente pour faire son constat en présence de M. X... pour éviter toute possibilité de disparition ; qu'en conclusion, le constat ne peut être retenu comme mode de preuve ; qu'en ce qui concerne la débauche de salariés, il est seulement reconnu que MM. F..., G... et H... ont rejoint le nouvel établissement MARTEAU de FLEURY-LES-AUBRAIS le 30 juin, le 30 septembre et le octobre 2005, soit largement plus d'un an après le départ de M. X... ; qu'il n'est aucunement prouvé qu'il soit à l'origine de ces départs ; que, pour les autres personnes citées, il n'existe aucun élément de preuve ; qu'en conclusion, le licenciement est infondé ; que les dommages et intérêts ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois, M. X... ayant plus de deux ans d'ancienneté et la société ayant au moins onze salariés ; que devant le Conseil de prud'hommes, il a reconnu qu'il avait été embauché par la Société MARTEAU le 23 mai 2004, soit un peu plus de deux mois après son licenciement ; que compte tenu du préavis, il n'y a pas eu d'interruption dans ses revenus professionnels, et son préjudice n'est que moral ; qu'il convient donc de lui allouer le minimum de six mois, soit 26. 040 euros ; que la règle générale conduisant à lui allouer une somme excédant largement son préjudice, il n'est pas inéquitable qu'il supporte ses frais irrépétibles ; que la société supportera les dépens d'appel (...) » (arrêt, p. 3 à 7) ;
ALORS QUE, premièrement, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence ; que les fichiers informatiques contenus sur disque dur sont donc présumés professionnels, sauf mention de leur caractère personnel ; qu'en l'espèce, en décidant que le répertoire JM devait être considéré comme personnel et qu'il n'aurait pas dû être ouvert par l'huissier, tout en constatant que le répertoire nommé JM englobait deux sous-répertoires et que seul le premier était nommé « personnel », le second nommé « MARTEAU » n'étant pas mentionné comme personnel, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 9 du Code civil et L. 120-2 du Code du travail ;
Et ALORS QUE, deuxièmement et en toute hypothèse, dans l'ordinateur mis à la disposition du salarié, pour exercer son activité, les fichiers sont présumés affectés à l'activité professionnelle ; qu'au cas d'espèce, en considérant que les répertoires devaient être regardés comme personnels sauf indication de certains d'entre eux comme professionnels, motif pris de ce qu'« il est invraisemblable que le disque dur n'ait pas contenu de répertoires professionnels identifiés comme tels » (arrêt attaqué, p. 6, § 4), la Cour d'appel a violé les dispositions des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et L. 120-2 du Code du travail.
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